Le Royaume
J’y suis arrivé par hasard, un soir, en suivant les courbes sinueuses du chemin de crêtes boueux et cabossé qui relie les fermes de West-Burke à Sutton. Sans jamais avoir l’impression d’avoir traversé de frontière. Ce n’est qu’au petit matin que je le découvris: attablé au comptoir d’un dinner, la serveuse m’apportant un mug de café fumant me gratifiait d’un: « welcome to The North East Kingdom of Vermont ». Je me trouvais au beau milieu d’un royaume !
Intrigué par l’idée qu’au cœur de la fédération des États-Unis d’Amérique, j’avais, malgré moi, illégalement pénétré en territoire royal, je décidais d’entreprendre le voyage qui me mènerait vers ses confins. Je partis à la rencontre des sentinelles et sujets du Royaume, des rives méridionales du lac Memphrémagog aux pentes des Green Mountains.
J’y ai croisé la désolation de ces maisons éventrées, comme soufflées par le temps, abandonnées par leurs propriétaires, victimes du déclin industriel. J’y ai croisé de jeunes fermiers utopistes venus expérimenter une vie alternative décroissante, refusant la mécanisation, chuchotant aux oreilles des bœufs et chevaux une langue inconnue. J’y ai croisé des chasseurs d’ours armés d’arc et de flèches, des taxidermistes en peau de loup, la princesse des abattoirs, un vieil explorateur des savanes tanzaniennes et la femme à la bûche. Je suis passé de ferme en ferme, les unes m’ouvrant les portes des suivantes. Et, transformant peu à peu mon chemin entre lac et collines en une quête royale, à chacun je posais la question : « But where’s the king?».
Stéphane Lavoué
On attribut la paternité du North East Kingdom (NEK) of Vermont à l’ancien gouverneur et sénateur américain George D. Aiken, qui, le premier, utilisa l’acronyme dans un discours qu’il prononça en 1949. Une manière très suggestive de décrire les paysages et les quelques 65000 personnes qui vivent le long de la frontière canadienne, dans les counties d’Essex, de Calednia et d’Orleans de l’état du Vermont.